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Préparations de sols dégradées : quelles conséquences pour l’enracinement et l’alimentation des céréales ?

Tassements, structures dégradées, sols encroûtés, semis tardifs… les conditions climatiques de l’automne et de l’hiver ont parfois conduit à préparer les sols dans des conditions d’humidité excessive, ce qui pénalise le fonctionnement racinaire des cultures. Des défauts d’alimentation en eau et en azote apparaissent aujourd’hui dans les situations superficiels mal enracinées. Comment s’adapter ?

Quelles conséquences pour l’enracinement et l’alimentation des céréales ?

Retard à l’implantation… retard à l’enracinement !

La mise en place du système racinaire débute dès la germination. La progression en profondeur est très active pendant le tallage, et la densification se poursuit pendant la montaison, voire jusqu’en début de remplissage.

On considère en moyenne que le front racinaire (les racines les plus profondes à un instant t) progresse à la vitesse de 7 à 12 cm pour 100°C. En cas de semis précoce ou normal, il atteint ou dépasse 1 m de profondeur dès le stade épi 1 cm si le sol le permet. Inversement, un semis tardif réduit la période de tallage et donc le temps disponible pour la mise en place des racines. Cela se traduit par une moindre capacité d’absorption hydrique et minérale instantanée pour la plante, notamment à la montaison, période où les besoins sont intenses. Moins d’horizons sont prospectés, et de manière moins intense.

L’hydromorphie, un frein au métabolisme

Les excès d’eau se traduisent, dans le sol, par une absence d’oxygène, et donc une incapacité pour les racines à bien fonctionner.

Si l’excès d’eau est présent avant la mise en place des racines, la zone engorgée sera mal prospectée tant que l’anoxie subsiste.

Si l’excès d’eau se développe dans un horizon de sol déjà prospecté par les racines, celles-ci deviendront inactives le temps que durera l’hydromorphie. Le système racinaire émettra par ailleurs des composés assimilables à des messagers du stress (acide abscissique, éthylène) qui auront des répercussions sur le reste de la plante.

Des problèmes de structure fréquents

Le scénario climatique depuis l’automne dernier a multiplié les situations menant à des problèmes de structure :

  • récolte du précédent dans des conditions humides menant à des tassements profonds et à des préparations grossières,
  • tassement sous les roues lors du semis,
  • formation d’une croûte de battance en surface, ou sols refermés,
  • formation éventuelle de « bouchons de paille » en fond de labour avec les résidus du précédent, formant un pseudo-gley anoxique.

Tous ces accidents génèrent des zones de tassement ou des environnements physico-chimiques défavorables, qui en temps normal sont prospectés plus lentement. Cependant, les excès d’eau permanents de cet hiver ont exacerbé les conséquences en cumulant les conditions d’excès d’eau durable aux problèmes de structure initiaux.



Sur une structure de sol grossière, les racines se développent préférentiellement dans les zones de moindre contrainte, et n’explorent pas la totalité du volume disponible (source : M. Martin, ARVALIS - Institut du végétal).



Un sol limono-argileux refermé par les excès d’eau. La surface dure limite les échanges entre les horizons ; l’aération du sol et le transfert de d’azote peuvent être pénalisés (Source : N. Cornec, ARVALIS - Institut du végétal).

Quelles conséquences pour les cultures ?

Les premières conséquences ont souvent été une perte de pieds dans les zones les plus tassées et les plus sujettes à l’excès d’eau. Dans une version moins extrême, une forte réduction du tallage est observable. Ceci va se retrouver dans les mouillères, les passages de roues et les fourrières.

Une deuxième conséquence, bien connue et déjà décrite, est le retard de stade : la croissance étant ralentie et le sol restant froid, les plantes tardent à se redresser et à initier leur montaison.

La dernière conséquence, complètement d’actualité, est le défaut d’alimentation hydrique et minérale des cultures.

Des défauts d’alimentation en eau et en azote

D’un point de vue hydrique, l’apparition d’une séquence sèche (depuis trois semaines) et chaude (depuis une semaine) génère une source de stress pour la plante : la demande devient élevée, la disponibilité en eau dans les horizons de surface se réduit fortement. Le système racinaire est trop peu développé (en profondeur et en densité) pour exploiter efficacement l’eau restant dans le sol. Les conditions culturales spécifiques de l’année se cumulent donc aux particularités climatiques de ces dernières semaines.

Du point de vue de l’alimentation azotée, la situation n’est pas beaucoup plus encourageante, notamment pour les apports réalisés au cours de la période sèche de fin mars et début avril. Le contexte d’enracinement laisse penser que :

  • les reliquats (souvent peu abondants) ne seront pas aisément exploités par les cultures,
  • la sécheresse de l’horizon de surface (et dans certains cas la présence d’une croûte) rend très aléatoire la valorisation d’apports azotés récents.

Il faut ajouter à cela les conditions venteuses de fin mars qui ont pu accroitre la volatilisation ammoniacale, dont l’impact peut être substantiel pour les formes d’engrais sensibles si les apports n’ont pas été suivis de précipitations.

Des pertes de talles et une altération de la fertilité épi à la clé

Dans ce contexte de météo chaude et sèche, la croissance des cultures va cependant être stimulée, et les défauts d’enracinement vont engendrer des carences et des stress. L’élaboration du rendement va être touchée : perte de talles et altération de la fertilité épi. Pour les situations de sols profonds et de cultures bien enracinées, les conséquences immédiates pourraient être nulles ou limitées. En revanche, pour les situations superficielles, mal enracinées ou fertilisées tardivement dans des conditions défavorables, des conséquences risquent de se matérialiser dès ce week-end et la semaine prochaine.

Plus ces stress vont engendrer des pertes de talles et des régressions d’épillets, plus un rattrapage ultérieur sera utopique. Dans certaines situations, le nombre de talles encore actives aujourd’hui est déjà limitant (alors qu’il est souvent excédentaire en années normales).

Comment adapter l’itinéraire technique ?

Dans ces situations perturbées, le recours à l’irrigation, lorsqu’elle est possible, peut être souhaitable moyennant quelques précautions :

  • combiner apports d’eau et d’azote de manière à lever les deux stress simultanément,
  • s’assurer que les engrais azotés sont bien valorisés,
  • éviter des apports d’eau trop massifs pour ne pas recréer des conditions temporaires d’hydromorphie dans un contexte de mauvaise structure de sol : l’eau apportée peine à circuler et à atteindre les racines !

Privilégier une conduite à la parcelle !

La spécificité des conditions de croissance à chaque parcelle va justifier un ajustement des pratiques au cas par cas, parcelle par parcelle notamment en utilisant les outils de pilotage de l’azote. Chaque situation aura son contexte de reliquat, de minéralisation et de croissance propre : viser une stratégie moyenne pour toutes les parcelles d’une exploitation est non recommandable techniquement.

Il est cependant nécessaire de rappeler qu’utiliser ces outils sans les remettre dans leur contexte cultural peut entraîner des interprétations erronées des conseils. Ces outils ont pour la plupart recours à un diagnostic de la plante pour constituer un conseil. Or, les défauts d’enracinement des cultures et de valorisation des apports d’engrais risquent de conduire à diagnostiquer des carences, avérées. La conversion d’un diagnostic en conseil d’apport nécessite absolument de s’assurer que :

  1. les précédents apports d’engrais ont été valorisés, ou à défaut encore disponibles dans le sol (dans ce cas, il faudra les déduire du conseil),
  2. le potentiel de la culture va permettre de valoriser cet apport. Paradoxalement, des apports d’azote sont, dans de telles situations, techniquement pertinents, car ils répondent à un stress réel ; par contre, le contexte agronomique dégrade très souvent l’efficience d’utilisation de l’engrais.

Idéalement, dans le cas de cultures chétives, la réalisation d’un profil cultural doit permettre de faire le point sur l’état d’enracinement, déterminant pour l’aptitude future de la culture à prolonger sa croissance.

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